La religion comme mécanisme de défense

Introduction

Le mot “religion” articule deux signifiants. Le préfixe (re) avec le verbe (lier). Le préfixe “re” nous renvoie au sens de “refaire”, “retrouver” ou/et renforcer. Le verbe”lier” indique l’action d’attacher quelque chose ou quelqu’un, par un quelconque moyen ou outil, avec une autre chose ou quelqu’un. Cette chose, avec quoi, ou ce quelqu’un, avec qui, on refait, retrouve, renforce le lien doit avoir un statut sacré.

En effet, Le mot religion, dérivé du mot latin “religion”, renvoie, étymologiquement, à une activité qui permet de refaire, retrouver ou/et renforcer le lien avec le sacré. L’institution de ce lien sur deux niveaux : un niveau spirituel de croyance, de crainte pieuse et d’admiration profonde, et un niveau pratique de culte et de comportement définit par les institutions religieuses.

Toutefois, le mot religion peut avoir un autre sens qui se comprend du verbe latin “relegere (ou religere en latin tardif). Relegere a une double signification : lire et réélire. Cicéron a précisé que le religieux, à l’opposé du superstitieux, est un pratiquant conscient : il fait le culte et relit la cérémonie pour vérifier que tout a été fait correctement. Saint Augustin pensait que relire et réélire ne peuvent que mener la personne à choisir et élire Dieu et de revenir incessamment à lui.

Cette différence ne se réduit nullement à une différence de signification, elle a une dimension culturelle: Dans le débat moderne, relegere est plus proches des cultes romains, tandis que “religare” est l’invention du christianisme.

Freud, qui se présente comme un héritier des lumières, adopte l’approche d’une anthropogenèse. Il étudie le phénomène religieux dans un cadre purement humain. La religion, entend-il, est, à la fois, le destin collectif et psychique de l’histoire de l’individu.

Dans cette approche, la religion a pris sa place au cours du processus que l’espèce humain a entrepris pour passer de l’état-nature à l’état-culture.

La culture, dans sa définition anthropologique, est l’ensemble de valeurs, normes, règles, expressions symboliques…. Ces éléments ont pour fonction de conformer la nature humaine avec l’intérêt social et éthique de l’homme.

Quelle place occupe la religion dans le processus de culturation ? Quelle est sa fonction psychique ? Quelle est la nature de l’investissement psychique de la religion ? Dans quel processus se situe le travail de la religion ? le processus pathologique ou le processus normal ? Comment se joue la fonction défensive de la religion ?

1 – le savoir religieux

Le savoir religieux se transmet dans un contexte ex-communicatif. Il se constitue de commandements, auxquels les individus doivent obéir, et des promesses ainsi que des renseignements, auxquels ils doivent croire sans appel. Obéir et croire exigent que les gens renoncent à leurs désirs et pulsions anti-culturels, s’ils veulent être dédommager et récompenser dans la vie ici-bas et celle de l’au-delà (comme ceci est dicté dans les religions monothéiste : le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam). La relation et la réélection d’un Dieu ayant la figure d’un père (au cas du christianisme) sont, aussi, le garant d’avoir la protection d’une puissance supérieure des vicissitudes de la nature et du destin.

Ainsi le savoir religieux fait partie de la période de l’enfance de l’espèce humain. Elle correspond à l’âge mineur et de dépendance de l’homme par rapport au destin, des forces de la nature et des forces extra-naturelles. C’est un savoir illusoire que l’évolution de la science positiviste, d’après Freud, devrait éradiquer. Une conviction que Lacan remet en cause. Dans sa conférence de presse (tenue à Rome en 1974), il pense que la demande à la religion serait la conséquence inévitable du progrès scientifique. Le savoir religieux répond à une demande que la science positiviste est incapable d’en donner des réponses. “Tout ce qui est religion consiste à donner un sens aux choses” (Lacan). Sens que le savoir scientifique efface en livrant la conscience à la merci des choses. 

Dans “Malaise dans la civilisation”, Freud se montre sceptique et peu réceptif à ce “fameux sentiment océanique », que Romain Rolland lui a avoué dans une de ses lettres. “En moi même, impossible de découvrir ce “sentiment océanique” (Réponse de Freud). Le sentiment océanique, ou “sentiment de l’éternité”, nous vient d’une région qui nous amène à adhérer et à croire à quelque chose en dehors de nous-même, en dehors de notre rationalité.

Paradoxalement, la croyance est chère pour la psychanalyse. c’est en croyant que le patient demande à être analyser. La croyance motive et nourrit le déroulement de la thérapie. Croyance (de credo, en latin) désigne un acte de confiance en dieu, en retour duquel accordera-t-il sa faveur. C’est l’acte de se rapprocher de quelque chose pour s’y coller, en se départant d’une position antérieure pour faire l’effort d’en conquérir une nouvelle. Cette conquête se fait dans la reconnaissance de l’autre, celui à qui on fait confiance. Sans la reconnaissance du patient, la psychanalyse serait sans intérêt. La souffrance du patient le dispose à la croyance. Contrairement à la foi, qui n’est qu’un rapport de fidélité, la croyance se place dans

l’ordre du “savoir”, fondé sur des arguments rationalisés.

2 – L’origine de la religion

Freud a consacré plusieurs écrits à l’interprétation psychanalytique du phénomène religieux comme “Totem et tabou” et “Moise et la religion monothéiste”.

La méthode freudienne consistait à correspondre la psychologie des masses avec la psychologie individuelle. Sa thèse principale est que le symptôme névrotique est analogue à ce qu’il qualifie de “symptôme religieux”.

Le symptôme névrotique est l’indicateur de la traçabilité des expériences

traumatiques et de blessures narcissiques. Des expériences qui surviennent à la première enfance, s’oublient et se rattachent à des impressions sexuelles et agressives.

Une névrose se développe, donc, des traumatismes refoulés et qui font leurs retours partiels après qu’ils avaient subi l’attaque de mécanismes de défenses d’évitement (et, peut-être, d’inhibition ou de phobie) passaient par une période de latence et le déclenchement de la maladie névrotique.

L’analogie avec le symptôme névrotique suppose que le phénomène religieux a passé, d’un point de vue généalogique, par les mêmes étapes de la constitution des névroses.

La religion est le symptôme d’un traumatisme qui a commencé tôt dans l’histoire de l’espèce humain. La tragédie de cette histoire raconte que le père, qui dominait la horde et s’appropriait les femmes à lui seul, avait été assassiné par ces fils. Ces derniers cherchaient, par cette action, de mettre fin à sa domination et satisfaire leurs pulsions sexuelles avec les femmes de la horde. Pourtant, ce parricide originaire avait été l’origine du conflit des fils sur l’héritage paternel. Il les avait laissés, aussi, dans un état d’ambivalence émotionnelle par rapport au père : ambivalence entre l’amour et la haine du père, et entre la culpabilité et le plaisir.

Pour sortir de cet état, les fils allaient conclure un pacte social fraternel qui

consistait être d’accord sur les deux points suivants :

La correspondance de la religion avec les expressions névrotiques se montre, par exemple, dans des comportements de la crainte de contact et de toucher, la conformité des “tabous primitifs” avec les phobies de toucher rencontrées dans certaines névroses obsessionnelles.

Freud pense que ce système totémique (respect du totem/père) est l’équivalent culturel du complexe d’oedipe qui constitue, selon lui, la condition de la première forme de la culturelle humaine. Et si le complexe d’oedipe est considéré comme le noyau des formations névrotiques individuelles, la religion, quant à elle, est l’expression d’une névrose collective.

3- La religion est la névrose obsessionnelle de l’humanité

Dans le troisième chapitre de ” L’avenir d’une illusion” Freud a fait la déclaration suivante : “la religion est la névrose obsessionnelle de l’humanité”. Il a, aussi, mis l’accent dans le texte “Actions compulsionnelles et exercices religieux” sur les ressemblances ente le cérémonial obsessionnel et le rituel religieux.

Le cérémonial obsessionnel se fait par un ensemble d’actions compulsives,

dénudées, manifestement, de sens. Tout écart à ce rituel provoque de l’angoisse.

En fait, le malade ressent une crainte injustifiée d’être puni s’il n’accomplit pas, ou accomplit faussement le cérémonial. Freud voit que cette attitude ressemble à celle du religieux par rapport au rituel religieux. La débandade entre les actions prohibées et les actions autorisées témoin, aussi, de cette ressemblance entre les deux registres de rites, obsessionnels et religieux.

L’interprétation analytique de la compulsion névrotique ou religieux est possible en recourant à l’histoire des évènements et des désirs refoulés qui sont responsables de sa formation. L’angoisse obsessionnel se suscite à la perception d’une tendance sexuelle ou agressive, en lien avec le traumatisme précoce. Et le rituel obsessionnel ne serait donc qu’une défense nécessaire pour le Moi sous l’emprise du sentiment de culpabilité. Ce sentiment est couvé par le Surmoi, le porte-parole psychique de la loi, dans le cas de la névrose obsessionnelle.

Pour Freud, le pendant culturel du Surmoi n’est que la religion. C’est elle qui rappelle au gens l’ordre du père primitif.

Le travail psychique de la religion a une valeur défensive. Des mécanismes comme la projection, le refoulement, le déni… constituent les enjeux défensifs de la religion.

La projection est une forme de rationalisation qui consiste en l’attribution à autrui des pulsions inacceptables pour soi. Elle intervient lorsque l’individu attribue un trait de caractère à l’autre qu’il possède en lui, mais qu’il n’accepte pas.

Au niveau psychopathologique la projection est la défense caractéristique de la paranoïa. Elle concerne toujours les parties psychiques sources de déplaisir et de danger. La projection représente les désirs inacceptables par des spectres, des revenants, des forces de la nature en furie. La religion, de même, est une projection sur le monde extérieur d’une réalité psychique de nature paranoïaque et superstitieux. Les actes de piété qui s’impose au croyant sont des mesures de protection contre les dangers pulsionnels.

Quant au refoulement, la religion est considérée comme refoulement du meurtre du père. Le complexe d’oedipe, selon Freud, est le point d’articulation fondamentale de l’hominisation. Comme la haine à l’égard du père avait été vouée à l’échec à cause de la rivalité des frères, l’identification totale au père aurait échoué elle-aussi. Cet échec va être substituer par des motions tendres et de culpabilité. Le déni ou le refoulement serions, alors, les deux défenses du fonctionnement religieux contre toutes les représentations fondées sur la haine envers le père et entre frères.

5- La religion comme défense contre l’angoisse (apport lacanien)

Dieu n’est pour Lacan qu’une des figures du grand autre. Celui en qui la croyance structure l’inconscient du sujet croyant par un ensemble de signifiants ayant pour fonction, dans le cas de la croyance religieuse, de se défendre contre l’angoisse. La structure de l’angoisse ressemble à celle du fantasme. Celui-ci est une composition grammaticale utilisée par la pulsion, en parcourant des renversements divers, en vue de trouver la jouissance et organiser notre relation avec le monde. Pourtant, le “je” qui se refuge, obligatoirement, dans le fantasme y est exclu et ignoré. “Un

enfant est battu” témoin bien cette exclusion.

L’angoisse, pense Lacan, surgit lorsque le place de (-ph) / castration est occupé par quelque chose autre. Elle est le seul affect qui ne trompe pas. Elle est, aussi, le sentiment de liberté par excellence. C’est le sentiment qui nous met en lien direct avec notre condition de solitude et de faiblesse la plus fondamentale. Toutefois, l’angoisse donne à l’homme la possibilité de s’exprimer en revendiquant le sens dans l’art, la culture, la pensée, la parole et la croyance.

En conséquence, la religion par sa capacité énorme à sécréter le sens, est un refuge indispensable à l’homme. C’est dans ce lieu qu’il peut tempérer, contenir l’angoisse. Si le savoir religieux diffuse du sens partout pour que l’homme ne se livre pas à la domination des choses et de la réalité, le savoir scientifique contemporain mène, au contraire, dans le chemin de l’angoisse originelle.

Conclusion

L’interprétation analytique de la religion est basée sur trois hypothèses : la horde patriarcale primitive décrite par Charles Darwin, les conflits entre les mâles pour conquérir les femmes de la horde et le repas totémique.

De ces trois hypothèses se confirme pour Freud l’origine anthropologique de la religion. Elle s’intègre dans le processus d’hominisation des êtres vivants appartenant à l’espèce humain.

Le meurtre du père, par ses fils, et la culpabilité ressentie après ont constitué, pour Freud, les deux facteurs qui ont donné naissance à la religion. Le sentiment de culpabilité représente, en réalité, l’ambivalence émotionnelle des motions tendres et les motions de haine envers le père. C’est la même ambivalence qui constitue le complexe d’oedipe, le noyau autour duquel gravite le processus d’hominisation et qui est responsable, aussi, des psychonévroses.

La démonstration par l’analogie enseigne à Freud les correspondances entre l’évolution du symptôme névrotique avec le “symptôme” religieux. L’oubli, la précocité, le contenu sexuel et l’atteinte au Moi constituent les points communs qui déterminent l’apparition du névrotique- individuel ainsi que le névrotique-collectif (la religion).

La croyance religieuse des masses est transmise par un savoir qui pari sur ce plus-de- plaisir, de l’au-delà, et sur la vertu et la morale, pour dédommager les individus des plaisirs manqués dans la vie ici-bas. Ce pari religieux n’est, pour Freud, qu’une illusion qui falsifie la relation de l’être-homme avec la réalité. Une illusion vouée au déclin une fois que la science réussisse à en sauver l’homme.

Contrairement à Freud, Lacan met en lumière ce qu’il désigne comme “paradoxe du savoir scientifique”. La science angoisse. Son essence consiste à étendre le réel et mettre, ainsi, l’homme en face d’un réel dénudé de sens. Par conséquence, la science, au lieu de dissiper la religion et l’illusion, les appelle et les génère même, pour “apaiser les coeur” (Lacan).

Enfin, le jeu de  la religion se réduit à un jeu défensif qui permet à l’individu de projeter, refouler, dénier… ses pulsions libidinales et agressives, et de se défendre contre l’angoisse.

Critiques

Trois critiques, que nous exposons en forme de questions, sont à penser lorsque nous réfléchissons la question de la religion en psychanalyse.

• Pourquoi la psychanalyse a développé son interprétation au phénomène

religieux en partant de son évolution dans le contexte culturel occidental (la mythologie et le monothéisme judéo-chrétien) ?

Comment cette supposition peut-elle remettre en question l’interprétation de la psychanalyse du phénomène religieux ?

Il s’agit, pour nous, d’une nouvelle entreprise pour le développement d’une psychanalyse en concordance avec les avancées scientifiques et philosophiques contemporaines.

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